Réflexions sur les logiciels libres, par Marc
Introduction
Sans vraiment de prétention particulière, ce document a pour but de compiler diverses réflexions -- positives ou négatives! -- sur
le monde des logiciels libres.
Réflexions
Quand le logiciel propriétaire est un argument marketing pour Red Hat
Résumé de l'article
Certaines contradictions ne sont pas absentes du monde des logiciels libres. Par exemple, le distributeur GNU/Linux
Red Hat,
réagit à l'
annonce d'
Oracle de création d'une distribution GNU/Linux spécifique certifiée Oracle, par une déclaration marketing en plusieurs points, dont un qui utilise
le fait que la suite de certification RHEL est propriétaire et donc qu'Oracle ne pourra jamais certifier sa distribution.
On peut regretter que le logiciel de test de plateforme (qui permet de certifier une plateforme et une version données d'une distribution) soit propriétaire à Red Hat.
Il serait plus intéressant pour la communauté que Red Hat publie son jeu de test / certification. Peut-être c'est ce que la concurrence de Oracle produira.
L'avantage commercial de Red Hat menacé?
Red Hat disposera toujours des droits légaux (trademark) sur `RHEL', personne ne
pourra donc s'en prévaloir sans accord commercial avec Red Hat. Red Hat gardera le droit inaliénable de
certifier sa distribution dans tous les cas. Mais il est évident que la valeur marketing de cette distribution
dépend fortement du nombre d'entreprises qui s'y intéressent.
Je n'ai pas fait de statistique sur le sujet, mais mes contacts empiriques avec les entreprises qui mettent en place des
solutions basées sur les logiciels libres me font constater que:
- de plus en plus d'entreprises utilisent des distributions communautaires (comme Debian GNU/Linux ou Ubuntu), plutôt que des distributions commerciales typiques comme SuSE?, Mandrivia ou Red Hat
- il est certes un domaine dans lequel les distributions commerciales typiques règnent, c'est en association avec des logiciels propriétaires comme Oracle, des suites de logiciels IBM/Tivoli, ou d'autres progiciels complets propriétaires (SAP); ceci par obligation commerciale (exigence d'intégration et de support, pas forcément justifiée techniquement)
Il est clair que si Oracle se met à faire du Linux, un des marchés-niches des distributions commerciales, et notamment
de Red Hat, se verra menacé.
Il faudrait étudier plus en profondeur le modèle économique de Red Hat et en déduire sa dépendance à la
captivité de ses clients (un autre argument du libre inversé!)
L'avantage et le besoin, pour la communauté, d'un jeu de test/certification
La communauté pourrait bénéficier du jeu de test: il y a peut-être des
bugs dans le jeu de test Red Hat, il est peut-être incomplet, p.ex. Des développeurs
pourraient comprendre pourquoi leurs patches ne passent pas le test, travailler en amont
et être plus efficace, voire améliorer leurs propres procédures de test de régression
durant le développement -- Red Hat pourrait certainement bénéficier de l'expérience des autres.
Une suite de test est un outil pour:
- les développeurs
- les intégrateurs
- les distributeurs
- les conseillers
Ce n'est effectivement pas un outil pour l'_utilisateur final_. Mais
l'utilisateur final est rarement seul. Et son interlocuteur est rarement
Red Hat. Toute la chaîne de responsabilité et de service dépend de
l'accès intégral aux logiciels, y compris des logiciels de test!
Un compilateur est aussi un outil que les utilisateurs finaux
n'utilisent pas. Un debugger également. Un environnement de
développement également. Des suites de test automatisées
aussi.
Or tout cela existe en logiciel libre. Pourquoi pas un jeu de test, qui
teste finalement simplement que le logiciel libre fonctionne ensemble
sur une plateforme matérielle donnée?
L'exemple des autres
De nombreuses entreprises actives dans les logiciels libres ont publié des jeux de tests très certainement
similaires à celui que Red Hat maintient propriétaire:
- l'entreprise VA-linux qui vendait du matériel certifié sous GNU/Linux avait publié son jeu de test (cerberus, encore aujourd'hui maintenu sur sourceforge)
- l'entreprise SGI a publié son logiciel de test de mémoire memtest86 (Ubuntu GNU/Linux le propose par défaut à l'installation)
- gcc propose un jeu de test automatisé
- je me souviens que SuSE? proposait un jeu de test automatisé en téléchargement
- le W3C publie des jeux de test
Donc, il semblerait que Red Hat est bien seul, dans le monde du libre, à cacher ce genre de choses.
D'ailleurs il ne m'étonnerait pas que la suite de test Red Hat soit basée au moins partiellement sur des jeux de
tests publiés en libre. ils en ont tout à fait le
droit légal -- tant qu'ils ne distribuent pas le logiciel plus loin.
ils auraient aussi le droit de le revendre à leurs partenaires -- tant que le logiciel ne contient pas de code GPL
non entièrement en possession de Red Hat (
dual licensing).
Peut-être qu'il faudrait vérifier ... mais comment ? Par définition, on peut s'attendre à des
non disclosure agreements
dans les contrats de certification. Encore un argument du libre inversé!
La position intenable de Red Hat
Il est difficilement compréhensible de voir comment Red Hat peut se positionner comme un acteur majeur du
logiciel libre alors qu'une pièce stratégique, potentiellement utile à la communauté, est maintenue propriétaire,
et secrète, sans raisons techniques (vu que Red Hat dispose des droits, des trademarks, nécessaires pour protéger
certifié par Red Hat).
Finalement, c'est comme si quelqu'un vous dit "mon logiciel de chiffrement est plus sûr, car la source est secrète": je vous garantis que ma distribution a été testée, mais je vous empêche de voir comment, de valider les tests effectués, de les
améliorer, etc.
Il est donc malheureusement aujourd'hui impossible de vérifier que la validation effectuée par Red Hat
vaut véritablement quelque chose. Il m'est impossible, en tant que conseiller indépendant, d'évaluer
la qualité de leurs procédures, de les recommander ou même de leur faire confiance en l'état.
Red Hat a très probablement le droit de maintenir son système de test propriétaire. Red Hat a, finalement,
exactement la même liberté de choix que tous les auteurs des logiciels que Red Hat distribue: choix entre logiciel libre ou propriétaire.
Heureusement que des milliers d'auteurs ont préféré privilégier la communauté du libre en ne restreignant aucunement les droits de leurs utilisateurs potentiels, quels qu'ils soient!
Sinon Red Hat n'aurait
rien à proposer à ses clients aujourd'hui.
Conclusion
Pour moi, ici Red Hat joue un jeu très dangereux. Cela confirme pour moi le besoin d'un contrôle
communautaire
et ouvert de divers aspects des distributions:
- les standards (p.ex. le File Hierarchy Standard, FHS)
- les certifications de personnes (p.ex. le Linux Professional Institute)
- les suites de test, d'interopérabilité et de certification
Espérons que la manoeuvre commerciale d'Oracle permettra une saine réflexion du monde des logiciels libres
dans le futur!
Réactions
Cet article a causé de nombreuses réactions, de surprise souvent, d'étonnement, et on m'a même demandé
si je vivais dans le même monde. De manière intéressante, les échanges qui ont suivi ont montré qu'au-delà
des problèmes de politique partisane, Red Hat est effectivement en mauvaise position dans ce cas. Le logiciel
libre n'est pas toujours un modèle simple à mettre en oeuvre.
De manière à vérifier certaines informations, j'ai tenté de contacter Red Hat, sans aucun succès, pour le
moment.
2007-01-29 |
toujours aucune réaction de Red Hat à ma question sur le fait que la suite de test n'est ni communautaire ni libre, ni même open source seulement. Notons que Novell SuSE a, par exemple, publié non seulement les outils de création de sa distribution, mais également la test suite utilisée. |
Ordinateur sans logiciel propriétaire
La problématique
De nombreux utilisateurs exclusifs de GNU/Linux doivent, lorsqu'ils achètent une machine neuve de marque
(p.ex. les PC montés soi-même n'ont en général pas ce problème), acheter (vente liée?) une licence pour
des logiciels propriétaires: p.ex. pour Microsoft Windows ou Apple Mac OS X.
Le problème est aggravé dans le cas des ordinateurs portables, puisque la vente forcée est ici presque systématique.
Les solutions
- Il est possible, dans certains cas, de se faire rembourser la licence Microsoft:
- des vendeurs d'ordinateurs portables sans licence Microsoft existent (informations de Nicolas Borboën, sur gull)
La problématique de la réutilisation des licences
Souvent, les vendeurs de machines avancent l'argument du piratage (utilisation non autorisée de logiciels
propriétaires) pour ne pas vendre de machines sans système d'exploitation: il est un fait que la plupart des
personnes intéressées à acheter sans OS désireraient en fait installer eux-mêmes l'OS. Il est également
un fait qu'un nombre non évaluable de ces derniers installeraient une version non licencée de l'OS propriétaire
Microsoft.
Malgré tout, cela me semble plus un argument anti-concurrentiel qu'un argument valable d'auto-protection. Surtout
que les versions modernes de systèmes d'exploitation Microsoft exigent une validation en-ligne ou téléphonique
après installation et limitent le nombre de changements de matériel.
Accord entre Microsoft et Novell (SuSE)
Microsoft et Novell ont signé un accord de collaboration (et apparemment aussi de non aggression légale).
Quelques points de cet accord:
- légal: l'accord protège de poursuites liées au droit des brevets les développeurs FOSS qui téléchargent (uploadent) leur code sur opensuse.org. En bref augmenter la valeur commerciale de la distribution Novell SuSE implique protection légale. Bien évidemment, la protection ne semble que concerner les brevets détenus par Microsoft.
- financier: Microsoft s'est engagé à acheter un certain nombre de licences SuSE Enterprise Linux (SLES) sur les prochains 5 ans, incluant du support. Il faudra évaluer ce qu'il se passe en 2013
Comme première application, Novell cite la virtualisation (un sujet à la mode!): p.ex. faire fonctionner un SuSE Linux
Enterprise Server sur une machine virtuelle Xen sous environnement propriétaire Microsoft Vista.
Une deuxième application est l'implémentation d'
OpenXML dans OpenOffice.
Même si cela semble un progrès pour les utilisateurs de ce logiciel en améliorant la compatibilité avec le monde Microsoft,
on doit aussi considérer que cela diminue l'importance du format ouvert original d'OpenOffice (
ODF) et soumet la communauté du libre, à nouveau, à des "standards"
Microsoft.
Il est évident que la Communauté du libre a pu ressentir cet accord comme une faute, ou un retour de Novell aux
pratiques qui l'ont souvent miné. Notamment lorsque Microsoft, par le biais de son président d'origine suisse,
Steve BALLMER, a utilisé l'accord pour souligner le fait que les développeurs FOSS violaient des brevets Microsoft (sous-entendu:
pas ceux qui travaillent avec opensuse.org). Cela n'a pas du tout été apprécié. Il y a aussi le risque qu'une partie
de l'accord ne soit pas public et cache des pratiques dangereuses.
Il s'agit aussi d'un changement de cap de Novell, qui jusqu'ici s'arrangeait pour déposer ses brevets dans les
mains d'un consortium indépendant voué à la défense du logiciel libre.
En regardant les termes (connus) de l'accord, on se demande toutefois si les dés ne sont pas pipés. En effet, la somme
payée par Microsoft est importante, mais fixe, mais celle payée par Novell dépend d'autres facteurs. Il n'est pas clair pour
moi de ce qui se passe réellement. Ca aurait été sympa que Microsoft ait fait l'erreur d'IBM de 1981, mais,
ils connaissent très bien cette partie de l'histoire.
Enfin, en droit européen, jusqu'ici, ce qu'a fait Novell au niveau légal est totalement inutile, vu que les brevets ne s'appliquent
toujours pas au logiciel, malgré les efforts soutenus et renouvelés de certains. La partie légale de l'accord
concerne surtout l'Amérique du Nord -- région dans laquelle c'est plutôt Red Hat qui, historiquement, est le
fournisseur de solution Linux (sans oublier IBM dans le rôle de conseiller). Mais il ne faut pas oublier que cet accord
est aussi un accord de partenariat: Microsoft va peut-être présenter de nouveaux clients à Novell.
Par exemple, je pense que le Service de Traitement de l'Information du Canton de Neuchâtel va certainement
officiellement maintenant faire du Linux. Son directeur (Jean-Luc ABBET) avait effectivement déclaré en 2001
que seulement lorsque les grands de l'informatique supporteraient Linux, il s'y mettrait. Les annonces d'IBM
de 2002 n'ayant pas suffit, peut-être que Microsoft réussira? (ils avaient des serveurs GNU/Linux sous
Debian stable en production, mais cela est un héritage de la politique d'ouverture du CEG de la ville, dirigé
en son temps par l'actuel directeur du CTI de Genève, M. LECLERC; le CEG a été intégré au STI entre-temps,
avec une régression évidente de la qualité et de l'offre pour les clients du CEG, comme en témoigne les
nombreuses pannes survenues au sein des hôpitaux.).
Pour se faire une opinion plus complète, voici quelques liens:
Enfin, quelques autres nouvelles liées:
- Novell renonce à supporter le projet Hula
- Hula est un remplacement (incomplet, un de plus) pour Microsoft Exchange
- mauvaise stratégie de toute manière: nécessite un serveur WWW, un serveur d'application et un serveur mail spécifiques
- Microsoft Exchange est certes une des fondations de la position indétronable de Microsoft en entreprise, car elle touche à un logiciel directement utilisé par les managers pour augmenter leur productivité, sans parler des frais de transition pour tout le personnel (formation, etc)
- c'est aussi un gagne-pain incroyable pour de nombreuses entreprises, dont Symantec, dont le travail principal est d'écrire des logiciels pour rendre Microsoft Exchange réellement utilisable (p.ex. sauvegarde en moins de 24h)
PS: j'ai intentionnellement utilisé Linux (plutôt que GNU/Linux) dans cet article.
Mise en garde
Même si ce document cite le GULL, je ne suis plus membre de cette association ni ne soutiens la manière dont elle
est gérée.
¶